Je crois (encore) aux forces de l’esprit

Comme on dit volontiers aujourd’hui, attention alerte vieux con #cetaitmieuxavant. Que les plus acerbes se rassurent, il n’est pas ici question de porter un regard nostalgique et ému sur l’éclairage à la bougie, les transports à cheval ou encore l’absence totale de fraises à Noël sur les étals des marchés (voire…). Ni même de regretter ces temps moins anciens où la télévision dictait les choix de programmes à regarder, où les opinions personnelles restaient personnelles ou réservées à un cercle fermé et privatif, où la rumeur restait l’essence-même du secret: une chose qu’on ne dit qu’à une seule personne à la fois, sans pouvoir en vérifier en un clic si ce n’est la véracité, au moins la teneur.

Nous sommes aujourd’hui dans un monde de l’information, de la connaissance universelle et de l’instantanéité. Où tout, absolument tout et son contraire, sont accessibles en une seconde. Et où tout le monde devient source d’information. Las, de quelle information parle-t-on? Je m’étais surpris à l’époque d’un mouvement de défiance de ma part face à Wikipedia, l’encyclopédie collective du savoir. Comment? La connaissance collective serait-elle équivalente, voire supérieure au savoir livresque? Une cohorte de gens lambda pourrait battre en brèche Larousse, Robert et l’Académie? Pour être franc je reste toujours assez sceptique personnellement, mais la question ne se pose plus. Le débat est clos. Il est parfaitement inutile de discuter avec qui que ce soit, puisque maintenant nous sommes entrés dans l’ère de: « c’est vrai, c’est sur Wikipedia », devenu à son tour, malgré ses déboires financiers, le même dictateur de l’information et de la connaissance que l’étaient dans des temps révolus les érudits de tout poil.

Internet n’invente rien. Il amplifie (à l’extrême), simplifie (à l’extrême), fluidifie (à l’extrême) des choses et des usages inhérents à la nature humaine. Les rumeurs ont toujours existé, mais on est passé d’une époque où on « se prenait à penser dans les milieux autorisés (par qui? pour quoi? quels étaient leurs réseaux?) » à un  temps où les réseaux s’autorisent  non à penser mais à donner leur avis. Comme l’ont très bien signalé les différents éditorialistes ces derniers temps à propos de « l’affaire Hulot » (en est-elle une du coup?), on est passé de chroniques judiciaires à un lynchage médiatique immédiat et énorme sur la base de… rien. La fameuse présomption d’innocence (qui vaut d’ailleurs aujourd’hui par exemple pour Jonathann Daval et Nordahl Lelandais) est invoquée non plus pour des gens inculpés, mais non encore jugés, mais pour des gens… évoqués dans des rumeurs, inculpés de rien puisqu’il n’y a aucune instruction judiciaire, mais déjà jugés sur le principe qu’il n’y a pas de fumée sans feu. Les mêmes principes qui ont présidé à l’Inquisition, aux procès de Moscou et à la justice nazie…

Cette tribune, voire ce tribunal  de tout et tous s’accompagne invariablement d’une exigence de transparence et de virginité, à tel point qu’aucun acte, dire, écrit, le plus insignifiant soit-il, le plus vieux (prescrit) soit-il n’est plus acceptable, ou en tous cas accepté. Pour les puissants et les célèbres. Mais demain aussi pour chacun de nous, occupés à revoir avec angoisse toutes nos timelines, à cleaner nos passés à défaut de nos souvenirs, à extirper de nos historiques le moindre truc a priori non politiquement correct. Tocqueville évoquait le despotisme (la tyrannie) de la majorité. On y est. Voilà. Les scenarii de science-fiction prédisaient tous l’éradication de la race humaine par les machines et les robots, et les pourfendeurs de l’IA en rajoutent… Foin de tout cela, le monde de demain n’aura pas besoin de cela, en ne faisant qu’exposer au plus grand nombre et immédiatement la turpitude et l’intolérance non pas des individus, mais de la masse.

Une masse puissante, surpuissante, mais informe, sans idée ni direction qui ne fait plus confiance qu’à elle-même pour suivre la voie erratique qu’elle ne trace pas. Une masse qui détient collectivement tout le savoir mais n’en possède individuellement qu’un soupçon, puisque, ce savoir étant à portée de main, nul n’est besoin d’en posséder une once. Les joutes verbales, les démonstrations d’éloquence, les concours de bel esprit, voire les grands oraux des concours, à quoi bon? Aujourd’hui encore la vivacité d’esprit, la répartie, l’humour… sont encore des vertus reconnues par certains et font partie de la panoplie de l’honnête homme. Du XVIIème siècle. Pas du XXIème..