Et on tuera tous les affreux

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Les Costes ne possèdent pas seulement l’hôtel restaurant éponyme. Ils ont aussi dans leur escarcelle quantité d’autres établissements parisiens, dont l’Avenue (pour avenue Montaigne), l’Esplanade (pour esplanade des Invalides) ou encore le Georges (pour le restaurant du Centre Georges Pompidou, Beaubourg pour les intimes). Outre le fait que leur nom ne brille pas par leur originalité, démontrant à l’inverse une remarquable capacité mnémotechnique (« on se retrouve à l’esplanade des Invalides ». « Où ca? ». « On n’a qu’à dire… à l’Esplanade »… Et hop du business), ces établissements ont en commun une politique tarifaire proche de l’escroquerie caractérisée, une carte réduite et dans l’air du temps, mais assez bonne, et une certaine façon d’être qui fait qu’on y regarderait à deux fois avant de s’y pointer en short et tongs, sous peine d’essuyer un refus poli, mais motivé… Bref, des endroits à la mode où Jacques Garcia a bien fait son travail.

Mais depuis peu un nouveau critère semble avoir été ajouté, au moins « officiellement » dans l’un d’entre eux, le Georges (comme Georges Pompidou donc, vous avez suivi): le délit de sale gueule / look / feeling, appuyé par le regard synoptique des serveuses insupportables qui font toujours la gueule et vous jugent de pied en cap en une seconde (en aurais-je déjà été victime? Dîtes-moi que non…). Je dis « officiellement » parce qu’apparemment cette pratique ancestrale a été percée à jour et révélée récemment, mais il est évident qu’elle existe partout depuis bien longtemps, et pas qu’au Georges. Je ne citerais, pour l’exemple, que la majorité des boîtes un peu courues où le videur (ne dit-on pas physionomiste maintenant, histoire d’annoncer la couleur) vous annonce invariablement que, même un lundi soir de mars, « c’est une soirée privée, désolé ».

Au Georges, les moches / pas dans le style ne sont pas refusés, mais donc gentiment invités à s’asseoir au fond, dans les places les plus éloignées, loin des regards et surtout placés de façon à ne pas « gâcher la vitrine » de ceux qui arrivent dans l’établissement et en feront, eux, une promotion positive. « Les moches au fond », comme l’explique très bien cet article. Scandale? Ségrégation? Oui peut-être mais bon? Rien de plus normal après tout non? Si personnellement je tenais ce type d’établissement « en vue » et y pratiquais les prix qui y sont pratiqués, j’aurais sûrement à coeur de justifier ces prix et d’assurer une prestation constante afin d’éviter les mauvaises surprises. Si le décor « mort » est assuré par Garcia et sans faute flagrante de goût, les autres clients sont l’âme et l’ambiance de l’endroit. Ce « décor vivant » ne peut se permettre de ne pas être au niveau du reste, et, même si cette pratique reste répréhensible sur le fond, elle n’en est pas moins compréhensible, voire excusable… Bon, si le même moche est connu et hype, l’affaire sera bien sûr différente, mais cela a moins de chances d’arriver, quoique… (je vous dis ça parce que la photo d’illustration de l’article que j’ai choisie me fait furieusement penser à l’idée que je me fais de Robert Smith, le chanteur des Cure, maintenant…).

Le seul problème, c’est le fait de faire en sorte que les beaux et cools se retrouvent systématiquement entre eux, comme ils le font déjà le reste de l’année à La Voile Rouge, à Gstaad, Saint-Barth, etc…, même si on parle là plus de ghettos de riches que de ghettos de beaux, mais souvent les beaux ne sont pas très loin. Ca ne fait pas beaucoup avancer la société, mais ce n’est pas le but des Costes non plus… En revanche, cette image lissée et parfaite ne fait que concourir à l’apprentissage de l’eugénisme que la société moderne est en train de nous concocter. Songeons que le séquençage d’un ADN coûtait 2 millions d’Euros en 2000, 1000 Euros aujourd’hui et demain 100, voire 10. Demain 100 Euros pour connaître la prédisposition de son enfant pour, au choix, les yeux bleus, les cheveux blonds, plus d’un mètre 85 (si on a les critères d’Abercrombie & Fitch ou du IIIème Reich, ce qui revient au même), ou tout l’inverse si on préfère le latin lover façon Andy Garcia (quelqu’un a des nouvelles depuis 1989, d’ailleurs?). Bref, un bébé « à la carte » où, sous couvert de connaître les prédispositions pour telle ou telle maladie, on pourra tout sélectionner pour obtenir un « bébé parfait ».

Heureusement tous les goûts sont dans la nature et il y a fort à parier que tous les types de beauté seront représentés. Mais des beaux uniquement, rien que des beaux à perte de vue… Quelle horreur! Boris Vian, visionnaire s’il en est, avait publié dans les années 50 sous le pseudonyme de Vernon Sullivan (celui-là même qu’il avait aussi utilisé pour écrire « J’irai cracher sur vos tombes ») un roman futuriste intitulé « Et on tuera tous les affreux ». En gros il imagine avant l’heure un monde où il n’y a que des beaux, où on tue tous les moches, et qui ronronne sec en s’emmerdant grave jusqu’au jour où un « affreux » qui a survécu surgit, attire tous les regards, notamment féminins, collectionne les succès et révolutionne la société normée précédemment construite. Et ne finit assurément pas, j’imagine, au fond chez Georges…